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Jardins-paysages du monde

En septembre 2013, le Landscape Conference de Melbourne en Australie a réuni d’éminents paysagistes du monde entier: Aniket Bhagwat (de l’Inde), Juan Grimm et Maleca Schade (du Chile), Raymond Jungles (ancien collaborateur de Roberto Burle Marx, actuellement en Floride) et Ken Smith (principalement de New York), ainsi que l’historien japonais Toshio Watanabe et moi-même, qui représentais l’Europe méditerranéenne. D’origines, de formations et de parcours très divers, nous étions surpris de nous découvrir bon nombre de points communs dans notre approche des jardins et des paysages. Nos dispositions, quoique variées, diffèrent de celles retrouvées couramment dans la pratique et les écrits des designers britanniques actuels (sauf exception, Dan Pearson par exemple ?) Les professionnels présents à Melbourne bénéficient d’héritages culturels indépendants du modèle anglais qui domine en Occident depuis plus d’un siècle. Leurs projets avaient également un air de parenté avec le nouveau Jardin botanique de Cranbourne, chef d’œuvre d’envergure mondiale mais en même temps profondément australien. Un bref résumé de nos points communs, bien trop simpliste, ne peut que suggérer quelques sujets de réflexion…

1) Dépassés aujourd’hui sont toute abstraction moderniste, toute pastiche postmoderne, tout jardin mondialisé passe-partout. Toutes les créations présentées étaient profondément enracinées dans des lieux uniques, “générées” (selon le vocabulaire de certains) par le site. Tous ces paysagistes travaillaient à partir d’éléments déjà sur place, évoquant souvent la mémoire du lieu. Tous mettaient en valeur, voire en scène, les données existantes-- expositions, géomorphologie, microclimats, variations saisonnières, matériaux et artisanats vernaculaires, etc. Aucun ne contentait de plaquer sur le terrain un concept, un plan ou un style préconçu. Ce rapport au site et à ses contextes dépasse de beaucoup un vague “esprit des lieux”, quelques “vues empruntées”, l’usage de plantes « indigènes » ou des frontières floues. Un projet unique, non transposable, « local » dans le meilleur des sens, peut cependant avoir un impact global—d’où notre présence à Melbourne. Dans les projets publics, cette approche vise à consolider une « identité civique », l’impression d’appartenance au lieu.

2) Ces créateurs découvrent mille façons ingénieuses pour évoquer de vastes paysages au sein de l’espace réduit d’un jardin. Souvent un graphisme minimaliste permet une miniaturisation symbolique rappelant certaines traditions asiatiques. Ainsi le jardin des sables rouges à Cranbourne résume le désert au cœur d’un continent. Il ne s’agit pas d’abstraction, plutôt de distillation de paysage, un procédé plus sensuel que conceptuel. En Inde, Aniket Bhagwat intègre le tracé de la mousson, ou le vol d’oiseaux urbains. Les échelles varient énormément : en Provence, Vésian et Idoux ont pratiqué la miniaturisation d’une campagne rurale (dans leurs champs de lavande par exemple), qui n’a ni la densité urbaine de Mumbai ni la majesté des montagnes du Chile. Les jardins de garrigue imaginés par Olivier Filippi (dont on peut voir maintenant une version au Mucem de Marseille) obéissent au même principe. Ce procédé se retrouve même dans certains détails. Au sein d’un jardins chilien qui imite un paysages grandiose tout en s’y intégrant , une série d’embarcadères reproduit en miniature le contour naturel des rives d’un lac. A Manhattan, Ken Smith crée des pavés dont le jeu répète le scintillement du soleil sur le East River.

3) Dépassés également aujourd’hui : les oppositions fatiguées entre culture et nature, artificiel et naturel, formel et romantique. Finis ces contrastes trop faciles entre un bâti minimaliste et une végétation foisonnante aux airs spontanés, mais qui en fait est très calculée. Dans les projets présentés à Melbourne, la géométrie est aussi « naturelle » qu’artificielle—comme déjà chez Burle Marx. Les formes mises en évidence étaient parfois spontanées, parfois élaborées; parfois minérales, parfois végétales, parfois synthétiques. Souvent on a du mal à distinguer entre ces catégories. Lignes et géométries sont presque toujours asymétriques, ouverts plutôt que fermés, en évolution dynamique (jeux saisonniers ou même momentanés d’eau, de lumière, de vent) multidirectionnels et visibles de points de vue multiples. Un exemple extrême de ces ambiguïtés : les jardins de toit de la MOMA à New York dont les formes « organiques » ont été suggérés à Ken Smith par les motifs du camouflage retrouvés sur un pantalon de skater…

4) Les plantes comptent énormément pour tous ces praticiens, pas seulement par leurs couleurs, textures et volumes, mais parce que le jardin se vit comme… du vivant, en évolution constante. Tous ces conférenciers connaissaient leurs cultivars mais aussi leurs écosystèmes. Pour jouer sur la croissance dans le temps, il faut savoir apprécier non seulement la variété infinie des plantes mais aussi leurs comportements, leur potentiel. Le temps se mesure en instants (la météo), en saisons, en cycles géologiques. Et puis, en valorisant le caractère unique du lieu, on encourage la diversité dans tout genre. La gestion écologique n’est pas rajoutée, mais inextricable du reste, pas un but en soi mais un point de départ. Ces jardins ne font pas seulement appel à l’œil mais invitent à une immersion multi-sensuelle. L’exemple de Gilles Clément a été également cité à Melbourne.

5) Le point le plus difficile à résumer: comment ces dispositions sont liées à une évolution culturelle plus large et plus profonde. Les jardins classiques correspondaient à une vision autoritaire, hiérarchique, statique, de domination humaine sur la nature. Le jardin romantique prônait la liberté naturelle contre la corruption culturelle—opposition reprise par les Lands Artists américains, séduits, eux, par l’entropie, le hasard, le chaos. Les deux tendances séparent l’humain de la biosphère. Les jardins évoqués ici récusent cette distance. Ainsi les théories actuelles de l’évolution refusent les vieilles dualités qui opposent l’inné à l’acquis, le déterminisme au hasard pour privilégier des processus imprévisibles et multidirectionnels. On peut penser aussi aux théories de la « complexité » où le vivant se caractérise par une capacité de s’organiser spontanément, sans cerveau dominateur. Où l’activité humaine participerait idéalement au concert mondial par une improvisation perpétuellement renouvelée-- ce que l’écologiste américain Evan Eisenberg appelle « le jazz terrestre »…

http://www.landscapeconference.com/AU/index.html cliquez sur 2013, puis “Speakers” pour voir advantage de photos
www.rbg.vic.gov.au/visit-cranbourne
www.tcl.net.au/
www.landscapeindia.net et www.landscapeindiapbb.wordpress.com
www.juangrimm.cl/grimmfinali.html
www.raymondjungles.com
www.kensmithworkshop.com

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