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Rome et Venise: au pays de la Commedia dell'Arte

Début mai 2012, j’ai pu présenter mon livre Arts paysagers de Méditerranée (Éditions La Martinière) à Rome et à Venise, invitée par deux associations italiennes de Jardin: les Giardini aperti (www.giardiniaperti.it) et l’association des jardins de Venise. Ce dernier fut baptisé « Wigwam Club » dans les années 1970 par des fondateurs écologistes admirateurs des Indiens d’Amérique (www.giardini-venezia.it/). Toute la semaine, j’ai bénéficié de l’attention d’une marraine de conte de fée, la journaliste horticole italienne Ida Tonini, née à Venise mais qui vit depuis longtemps à Rome. Elle m’avait déjà fourni une aide précieuse dans la préparation de mon livre, notamment pour le chapitre sur les jardins de Venise. Lors de ce séjour italien, je me sentais souvent comme l’Alice de Lewis Carroll, suivant un itinéraire imprévisible, me sentant parfois très grande et à d’autres moments, minuscule. J’allais de surprise en surprise, toujours confiante d’évoluer dans le domaine du merveilleux. Toute la semaine est devenue une sorte d’initiation à la beauté souvent enrichie par le plaisir du rire partagé.

Pour les trois premiers jours, je logeais dans l’appartement d’Ida au cœur même de Rome, au pied de la colline du Pincio.

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Vue sur le Pincio à Rome

Dès mon arrivée tôt matin de l’aéroport, Ida m’escamota pour une virée à la Villa d’Este. Je l’avais vue juste une fois, il a quarante ans. Ce jardin clef de la Renaissance romaine met en scène l’eau sous toutes ses formes dans le but d’impressionner, voire intimider le visiteur. Il inspira les architectes de Versailles, que je devais voir quelques semaines plus tard. Mon travail concerne généralement des jardins contemporains, souvent privés, parfois modestes, parfois créations de grands artistes, rarement historiques. J’ai donc été contente de revoir ces grands classiques.
Este est situé à Tivoli, lieu connu depuis l’antiquité pour sa beauté et la pureté de son eau, mais gâché quelque peu aujourd’hui par la laideur des constructions récentes. Les jardins de la Villa d’Este constituent cependant un majestueux monde à part où l’art noble admet la drôlerie et l’esprit. Aujourd’hui, le jardin historique sur sa colline abrupte accueille le grand public, autant les bandes d’écoliers que les touristes étrangers. Le système hydraulique ingénieux du seizième siècle n’inonde plus ses visiteurs élégants en habit de cour. La suite des sculptures qui, à la Renaissance, dévoilait un schéma mythologique complexe est devenue malheureusement illisible, tant la pierre est érodée et malade. De toute façon, peu de visiteurs comprendraient cette iconographie devenue ésotérique. Pourtant les volumes et les masses, la disposition en plans, sont partout d’une harmonie impressionnante et émouvante. De plus, j’ai eu un sens de « déjà vu », tant les jardins postérieurs partout en Europe se sont inspirés de ce site.

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Jardins de la Villa d'Este

Depuis trente ans, j’ai vu des centaines de jardins aménagés sur des collines en terrasses (y compris le mien). A d’Este j’ai vu le modèle pour tous ces axes verticaux qui coupent une colline de haut en bas, reliant souvent une maison, villa ou palais perché en haut avec le fond de la vallée. A Serre de la Madone à Menton, comme à d’Este, les visiteurs arrivaient en bas et ne découvraient pas tout de suite la villa et cette descente dramatique. La symétrie bilatérale que cet axe suggère (rarement réelle) se retrouve dans maints jardins de la Côte d’ Azur. J’ai également vu ailleurs des escaliers accompagnés par des chemins d’eau en guise de main courante. J’ai bien aimé les sculptures de personnages, humains et animaux, qui émergent du rocher au fond des grottes, à demi sortis du flux des énergies naturelles. Après un après-midi bien rempli, retour à Rome à l’heure de pointe—j’ai été très heureuse de ne pas être au volant! Le soir, invitation de dernière minute à dîner dans un palazzo à proximité de la Piazza Venetia, magique au crépuscule.
Le lendemain, ma conférence se passait en marge des jardins Borghèse, au British School in Rome, œuvre de Edward Lutyens. L’assistance était surtout composée de membres du club, courtois et connaisseurs. J’ai eu la chance de me faire traduire en italien par un jeune professeur d’architecture paysagère, le docteur Paolo Camilletti. Une cinquantaine de ses élèves était venue remplir les bancs du fond !

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Ma conférence à Rome

Après, un verre agréable dans les jardins de l’école fut suivi par un repas de bistrot romain typique : fritta mista et saltimbocca, avec plusieurs membres du club, des femmes de caractère, dont une seule Anglaise. Pendant toute cette semaine, j’étais plongée dans la langue italienne. Heureusement que j’avais revu quelques éléments de base avant de partir. Mon accent est si horrible que mes pauvres interlocuteurs me priaient « “Speak EENGLISH !” Mais au moins j’ai pu suivre--un peu-- ce qu’on disait autour de moi.

Le lendemain, petit déjeuner rapide dans un café très « branché » dominé par d’énormes statues en plâtre de dieux et de déesses—un ancien atelier d’artiste du XIXe. Ida m’a guidée jusqu’au TGV pour Venise où nous sommes parties ensemble. Au bout de trois heures et demie de trajet, nous sommes sorties de cette gare de Venise si célèbre pour découvrir les magnifiques lumières d’une ville juste après l’orage. À Venise, tous mes arrangements avaient été pris en main (grâce à l’intermédiaire d’Ida) par une autre journaliste horticole, également présidente du club Wigwam, Mariagrazia Dammicco. Mariagrazia est en train de finir un livre sur les jardins vénitiens (son second) avec la photographe Gabriele Kostas, qui a eu la gentillesse aussi de photographier ma présentation le lendemain. Elle organise aussi des visites de jardin en tant que guide (giardinistorici.ve@wigwam.it ou mgdammicco@hotmail.com). Elle m’avait réservé une chambre chez une Française, membre du club, dans une rue tranquille du quartier Cannaregio, près du Ghetto. Madeleine avait passé son enfance à Venise. Elle est maintenant retraitée, férue de l’histoire économique et sociale de la ville. Elle n’habite pas un palazzo mais une maison construite pour les ouvriers de ce quartier dans les années trente. Ici, ma chambre donnait sur un patchwork de petits jardins vernaculaires, exactement le genre que je décrivais dans mon livre, à la fois aimables et productifs.

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Jardins vernaculaires à Canareggio

En quittant la gare, et avant d’arriver à mon logement, Ida et moi avons déjeuné dans une trattoria près du canal à Cannaregio. Ida plaisantait avec la serveuse en vénitien. Celle-ci est en fait copropriétaire avec sa sœur, toutes les deux vieilles connaissances d’Ida. Le soir, j’ai été invitée à un dîner convivial dans la maison de famille d’Ida avec ses sœurs, son frère et d’autres amis. Ce frère est directeur du palais ducal, et sa famille l’appelle familièrement Il Doge. Mon italien n’a pas suffi pour cette occasion joyeuse mais j’ai adoré lorsqu’une des convives, prof d’anglais en partance pour Cambridge, s’est levée pour déclamer des vers de Manzoni contre Napoléon. Toute la compagnie chanta, voire cria, les refrains. Soirée très animée ! Cette maison bien cachée possède un beau jardin des années 1920. Il y a une photo de sa porte d’eau dans mon livre.
À Venise, j’ai particulièrement apprécié deux petits musées: le Ca d’Oro avec sa belle cour intérieure, et le musée Fortuny. Ida m’accompagnait à cette occasion avec une amie de fac. Les deux femmes se souvenaient d’avoir fait du théâtre d’amateur dans ces mêmes salles lors de leurs années d’étudiantes, quand le somptueux palais appartenait au fils de grand couturier. Autre surprise qui m’a émerveillée: en plus des belles expositions de tissues et de robes, il y a une petite pièce à part consacrée à une sculpture de lumière de James Turrell Red Shift , qui date de 1995.

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La cour de Ca d'Oro

Ma présentation à Venise se fit dans les serres du site de la Biennale, la Serra dei Giardini di Castello. Mais l’espace retenu fut une loggia qui dominait…la cafétéria ! D’où montait un vacarme invincible en tout cas pour ma petite voix, même avec un micro capricieux. Heureusement pour moi, l’architecte paysagiste Guiseppe Rallo, présenté dans mon livre pour sa restauration des jardins du Palazzo Soranzo Capello, était présent et a pu parler pour moi. Il avait mon livre en main depuis seulement 24 heures mais il l’avait parcouru suffisamment pour en donner un excellent résumé, avec un bon choix de citations ! Les quelques phrases que j’ai pu dire étaient traduites avec gentillesse par son épouse, la linguiste et professeur d’anglais du dîner de la veille. Elle a fermement refusé de traduire les compliments que je faisais concernant le travail de son mari, mais je pense que l’assistance a compris.

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Louisa Jones chez les aimables Vénétiens Photo © Gabrielle Kostas

Ma dernière journée à Venise, Ida repartie à Rome. Mais Mariagrazia Dammico m’a organisé une visite extraordinaire à la Guidecca. Madeleine a eu la gentillesse de m’y accompagner. La propriétaire du jardin que nous avons vu était longtemps assistante de l’architecte-peintre autrichien Hundertwasser, célèbre pour ses constructions fantaisistes et colorées. À Venise il fut connu aussi en tant que dernier propriétaire du légendaire « Jardin d’Eden », longtemps cultivé à la Guidecca par Frederick Eden et son épouse, Carolyn, née Jekyll, sœur de la célèbre Gertrude. Eden publia en 1903 un livre fascinant sur son jardin et la Venise de l ’époque. Ida Tonini a fait beaucoup de recherches sur ce lieu et cette famille. Ce n’est pourtant pas le Jardin d’Éden que j’ai pu voir, il est encore très secret. Il en reste quelques cyprès magnifiques, visibles de l’extérieur. J’ai interrogé l’ancienne assistante de Hundertwasser à son sujet. Elle m’a confirmé que, lorsque Hundertwasser acheta le Jardin d’Éden, il était déjà recouvert de ronces et d’orties, et c’est justement ce qui lui plaisait. Il admirait la nature la plus sauvage. Mais pourquoi, demandais-je, acheter ce jardin-là qui n’avait pas du tout était fait dans cet esprit-là, mais qui avait été au contraire un mariage heureux entre l’horticulture anglaise et les jardins vernaculaires du pays ? Elle m’a dit qu’à l’époque de son abandon, il restait encore une maison construite directement sur la terre battue, et que l’artiste se plaisait à l’idée de vivre à même la terre.

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Jardin privé à la Guidecca

Son jardin à elle était admirablement entretenu quoi que planté lui aussi sur un ancien emplacement maraîcher gagné par les d’orties. Aujourd’hui, c’est un jardin anglo-normand, très fleuri, avec des rosiers arbustifs et grimpants, clématites, roses trémières, lis, vivaces et beaucoup de bulbes. Rien de comestible, complètement nu en hiver. Cette saison est surtout le moment de la taille des rosiers. Cette jardinière est fière surtout de la communion intime qu’elle ressent avec ses plantes et son jardin, même à distance, lorsque, par exemple, elle se demande quelle plante acheter pour compléter un coin ou un autre. Il s’agit d’une véritable télépathie écologique. Elle estime ne pas « faire » son Jardin mais le servir pour le plus grand bonheur des deux. En ce moment, elle plante aussi un jardin à Canareggio pour un nouvel hôtel appartenant à son fils, du nom un peu tapageur de Carnival Palace Hotel.
J’ai aussi beaucoup aimé me balader dans les rues intérieures de la Guidecca où j’ai pu trouver beaucoup de bons exemples de cordes à linge embellissant des jardins, un de mes dadas pour le thème de « jardins multiples. »

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Etendages fleuris à la Guidecca

Il était difficile de revenir sur terre après cette semaine un peu envoûtante mais comme la terre en question est celle de mon propre jardin, j’ai été contente de la retrouver.

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